Depuis les attentats du mois dernier à Paris, l’invocation
aux "valeurs de la république" tourne au moulin à prière. Gauche et droite s’en
gargarisent (...), Marine Le Pen ne s’en réclame pas moins. Tous les éditos,
tous les sermons politiques soulignent
la nécessité de resserrer les rangs sur les valeurs républicaines (...) Or,
n’en déplaise à la gent prédicatrice, « les valeurs républicaines », ça
n’existe pas ! ». Car il ne faut pas confondre valeurs et principes. »
L’honneur, l’altruisme, le courage, la probité, (...) le discernement, la
générosité sont des valeurs (...) elles
ne sauraient être l’apanage d’un régime politique déterminé. (...)Bref le
régime républicain ne recèle en lui aucune valeur intrinsèque. » énonce
brillamment Denis Tillinac dans Valeurs Actuelles (19 février).
N’empêche qu’il existe bien un catéchisme républicain qui
s’appuie sur la sacro-sainte devise « liberté, égalité, fraternité »
Commençons par la liberté. Sans disserter sur ses aspects
philosophiques, quelques réflexions de bon sens : il n’y a liberté que par
rapport à des contraintes extérieures. La liberté est donc conçue comme une
dialectique entre émancipation et limites auxquelles elle se heurte. Ces
limites sont de l’ordre de la nature et de la morale. Nos limites se heurtent à
des contraintes liées à des données naturelles : on nait avec un sexe déterminé
par exemple. Elles sont liées à des interdits moraux qui encadrent la vie en
société. Il faut donc que la Loi détermine ces limites à la liberté. Or la loi
de la majorité est une loi relative, une dictature de la majorité, qui se termine
en oppression par des normes et des directives. Or les contraintes sont
toujours des obstacles au désir de l’individu. La liberté émancipatrice se veut
donc une déconstruction des contraintes qui bornent nos désirs, nos passions.
Ainsi la liberté telle qu’elle est conçue dans le système républicain débride
les contraintes pour que le désir immédiat puisse se donner libre cours. Et
l’on voit ici la collusion entre le politique et le néo libéralisme. Cette
liberté-là devient ainsi une violence contre l’héritage des contraintes.
Aujourd’hui, où toutes les autorités ont été déconstruites (disons pour faire
vite depuis 1968 qui a constitué une rupture) le corps devient l’ultime limite
à transgresser. Notre corps est la dernière barrière. Le corps c’est la
vieillesse, la faiblesse, la mort. En ce sens le corps résiste au projet de la
liberté absolue car la liberté c’est la révolte du désir contre la contrainte,
c’est la violence contre la contrainte. Aujourd’hui les techniques médicales
forcent les corps. Ce combat se fait contre nous-mêmes. Ce combat est la
dernière phase à laquelle s’attaque la liberté émancipatrice, il constitue la
dernière phase quand tout a été transgressé. Si ce combat est perdu, tout est perdu.
L’égalité : nous savons depuis les travaux publiés par René
Girard que l’égalité débouche sur la violence.
Pourquoi ? Parce que la nature humaine quand elle est
nivelée entre dans une dialectique de lutte, dans un mécanisme infernal où
chacun veut être reconnu. Mais là encore le désir mimétique engendre une
frustration qui mène à la rivalité. René Girard a bien montré que les jumeaux
(ou les frères ennemis,) qui sont des êtres quasi indifférents, représentent dans
les mythes anciens le symptôme de la crise, de l’emballement qui mène au crime.
Pensons à Etéocle et Polynice, à Romulus et Rémus, à Caïn et Abel.... Si l’on
pousse le raisonnement jusqu’au bout l’égalité suppose la suppression de toute
frontière, à commencer par la frontière politique puisqu’un étranger doit
égaler un Français par exemple. L’égalité est donc moteur de violence sociale.
L’Ancien régime entretenait, au contraire, la diversité :
diversité des statuts sociaux, des conditions ce qui constituait au total une
société harmonieuse selon l’exemple de l’orchestre où chaque instrument tient
sa partition pour créer une symphonie. Qui préfère l’unisson à l’harmonie ?
Venons-en à la fraternité : rien de mieux que de puiser à la
source même dans le livre de Vincent Peillon, ancien ministre de l’Education
nationale « La révolution n’est pas terminée » qui nous annonce un nouveau messianisme
républicain.
Citations dans le texte :
« Le principe individualiste a triomphé
avec la bourgeoisie en 1789. L’autre révolution, celle de la fraternité reste à
faire ».
« La synthèse républicaine se trouve obligée d'inventer une
métaphysique nouvelle et une religion nouvelle où c'est l'homme (...) qui va
apparaître comme un infini. (...) Cette religion n'est pas une religion du Dieu
qui se fait homme. (...) Elle est une religion de l'homme qui a à se faire
homme dans un mouvement sans repos ».p 142
« Mais elle conduit la démocratie républicaine à chercher
une part essentielle de sa ressource dans l'idée d'une religion nouvelle, non
révélée et même laïque ».p142
« Ce qui manque au socialisme pour s'accomplir comme la
pensée des temps nouveaux, c'est une religion nouvelle : « Donc un nouveau
dogme, un nouveau régime, un nouveau culte
« La libre pensée, dont nous savons qu'elle
est intrinsèquement liée à la République et au socialisme est cette religion.
Ceux qui ne veulent pas entendre n’entendront pas. »p188
« L'école sans Dieu est l'instrument de cette religion. P191
« C'est ce travail qui est commencé, c'est la Révolution qui
se continue. » p 210
Plus fort que Robespierre et son Etre suprême ! Cette
fraternité du fronton des mairies est donc l’annonce d’une nouvelle religion
laïque, la seule qu’il est impossible de blasphémer. C’est d’ailleurs pourquoi
le terme plus social de « solidarité » n’a pas été retenu dans la devise mais
bien fraternité qui implique un lien religieux.
Finalement ces principes révolutionnaires ne sont pas autre
chose que la subversion de principes monarchiques. La monarchie donnait du sens
à des mots qui aujourd’hui sont dénaturés.
La liberté est un concept que la monarchie ne connaît pas.
N’étant pas un système mais un empirisme, la monarchie a créé des conditions de
libertés au pluriel : la première étant la sécurité des hommes par la paix civile.
Les libertés existaient et on appelait cela les privilèges qui sont des
libertés réelles accordées à des personnes, des communes, des provinces qui
s’en prévalaient avec fierté.
L’égalité n’est en fait rien d’autre que la perversion d’un
sentiment très naturel et légitime : la soif de justice.
Et qui rendait justice si ce n’est le roi ? C’est même là sa
fonction première, là son premier devoir. Le prince est un défenseur. Les rois
furent les pères de la nation en mettant fin aux exactions des féodaux, en
rendant justice aux communes, aux sujets. La justice du roi est le rempart des
intérêts privés. L’unité française s’est formée par la justice, par le recours
à la puissance royale pour imposer le respect du droit.
Du sentiment de sécurité, du respect de la vérité et des
droits venant de la confiance dans la justice, naît la fraternité. La
fraternité cela ne vous a pas échappé implique un père, sans quoi il n’y a pas
d’ordre fraternel. Là encore nous sommes en présence d’une vérité pervertie,
dénaturée. La France était une amitié. Non que nous voulions nier les haines et
les séditions mais le principe d’unité était le plus fort et la réconciliation
plus rapide.
Par contre, un fois le roi tué, le père, la fraternité s’est
délitée dans une rivalité mimétique. Tel se veut l’ordre royal quand la
république n’est qu’un théâtre du vide, bâti sur les bases de la subversion et
du nihilisme.
Sandrine Pico-Deprez
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